Ordures (Le Point du 21/09/2011)
Serge Guichard a organisé dans l'Essonne le nettoyage
d'un camp rom avec ses habitants. Il risque une
condamnation judiciaire.
C'est un Breton de l'Essonne, menacé d'une condamnation ce jeudi 22 septembre au tribunal
de proximité d'Évry, et il pourrait porter sa peine comme une décoration. Serge Guichard,
62 ans, est convoqué pour "dépôt ou abandon sur la voie publique d'ordures, de déchets,
de matériaux ou d'objets", après avoir organisé le nettoyage d'un bidonville de Roms au
printemps dernier.
Il y a plusieurs histoires ici. Celle des Roms d'abord, et c'est la plus cruelle, d'un peuple
en trop dans nos contrées, dont les enfants, ici, vivent dans des squats ou des caravanes à
même les terrains vagues, voisins des ordures et des rats, vivent donc comme des rats dans
l'indifférence ou l'hostilité ; parce que, bien sûr, il faut comprendre, la mendicité et les vols et
les trafics, et les mafias que les autorités dénoncent, et la saleté physique doit bien annoncer
une tare morale, et il y a suffisamment de misère sans ajouter celle-là à notre conscience.
Entêtement
L'autre histoire, c'est celle de Guichard lui-même, un parmi une poignée qui se coltinent le
drame rom, contre l'évidence et leur entourage, et parfois la fatalité même de ceux qu'ils
aident. Il s'y est mis il y aura bientôt dix ans, alors adjoint au maire de Palaiseau, percuté
par l'expulsion d'un camp dans sa ville ; Guichard, militant et responsable communiste, en
a trouvé une nouvelle identité militante, plus forte que le reste, que ses envies de retraite
artistique, sa passion pour la photo, l'épuisement même face à une souffrance qui ne sera
jamais résolue. Président d'une association de solidarité aux familles roumaines, il s'est
approprié la réalité des Roms en France, ferrailleurs de fortune venus de Roumanie ou
d'autres marches de l'Est, les chômeurs, les mendigots, les impatients et les résignés, et
leurs enfants pleins d'attente, qui vont à l'école le matin dans la boue, qui se lavent quand
ils peuvent, dont les enseignants ignorent qu'ils vivent dans des cloaques, qu'il faut aider
pourtant.
Il y a, dans le militantisme humanitaire, quelque chose d'épuisant et de vain, qui heurte le
confort des autres. On peut se moquer ou s'agacer des naïvetés et des persévérances. On peut
admirer aussi l'entêtement de Guichard, mû par ses souvenirs d'enfant pauvre des Côtes-
d'Armor, des hivers trop froids des années cinquante, au temps de l'abbé Pierre. Dans les
basanés de Roumanie, il a rencontré des petits frères, et il suffit.
Urgence
De tous les rebuts du département, le camp de Moulin-Galant, terrain départemental aux
confins de Corbeil, Villabé et Ormoy, n'était pas le pire, jure-t-il, mais il y avait urgence.
La zone, squattée par quelques dizaines de familles, était abandonnée à elle-même, les
immondices s'entassaient sous les caravanes, un enfant avait été mordu par un rat, et aucune
autorité ne voulait dépêcher ses bennes... Le 22 mars dernier, le département avait proclamé
une journée "Essonne verte, Essonne propre" : Guichard est venu avec ses militants, des
gants, des sacs, pour nettoyer le camp avec ses habitants : vider, ramasser, entasser des sacs
au bord de la route et provoquer, enfin, une réaction. Trois jours plus tard, le parquet d'Évry
épinglait le chef du gang des nettoyeurs. On en est là.
Le procès sera l'occasion d'une manif, d'une conférence de presse, pour faire parler des Roms,
s'ils sont le sujet. Sinon, les ordures sont ramassées, désormais, et l'opération n'a pas été vaine,
mais il faudrait encore dératiser le terrain. Quant à la justice, quand elle rencontrera Guichard,
elle pourra méditer cette phrase du grand Hugo : "L'odieux est la porte de sortie du ridicule."
La citation fonctionne aussi à l'envers.